Poésie en français

entre le béton et la feuille
la fleur et la graine
fraîche
du tournesol
en demourance
sans plus aucun
autre pétale
que le cœur
le vent
s’installe
par-delà les jardins
secrets
de l’esplanade
les pierres
chuchotent
et déclament
des vers
alors que les machines à écrire
en frappent chaque note
et suivent le fil magique
conducteur de voix
et de silences
dans la noirceur
quelque part
entre les pinceaux
et les mains
les grillons
et les tableaux
la lune
rôde
croissante
entre le stade olympique
et les chants
de l’enfance
entre les corps étouffés
par les bouches
charnelles
du métro
et les visages
crispés
par le froid
de l’automne
respirez
respirez…

 

PORTAILS

ob_c03de3_richesse

Eau renversée sur le sol.

vague. odeur. humide. engrais. chaleur. diffuse. méridiens. points. cardinaux. brûlure. écho. au centre. terre. terre. brun. vert. essence. flamme. enflamme. le doute. vol. envol. fuite. reste. pousse. à l’envers. de l’ailleurs. à l’endroit. chemin. trace. mauvaise. herbe. présence. pousse. plancher. tapis. rouge. replié. en bas. en haut. roulé. rangé. reposé. en haut. en bas. cailloux. craque. fêlure. douleur.
Om. Yam. Yam. Lam. Om. Yam. Yam. Lam.

Eau renversée sur le sol.

flaque. coins. obscurs. secrets. animaux. esprits. sauvages. loin. proche. noirceur. pousse. ta main. ta main. toujours. ta main. entre. lacée. doigts. fougères. tasses. éclats. orange. gingembre. cacao. douceur. ma main. ma main. toujours. ma main. pousse. pousse. ton dos. lierre. colonne. mur. bassin. sacrum. sacré. pas. sillon. tremble. feuilles. jambes. tremble. feuille. jambes.
Om. Yam. Yam. Vam. Om. Yam. Yam. Vam.

Eau renversée sur le sol.

mer. forêt. pins. ancêtres. chants. voix. tambour. cloche. carillon. craquement. branches. sons. cri. soupir. plexus. solaire. solaire. soleil. ventre. bouche. cou. dégage. dégage. les bronches. branches. des conifères. dégage. l’imaginaire. danse. sueur. prière. rêve. ouvre. toi. toi. ouvre. regarde. vent. viens. monte. descends. nourris. chacune. des cellules. et des marches. en hauteur. des bas-fonds.
Om. Yam. Yam. Ram. Om. Yam. Yam. Ram.

Eau renversée sur le sol.

glace. glisse. tombe. mer. vague. flaque. coins. obscurs. yeux. guettent. fermés. ouverts. mobiles. patients. dans l’ombre. du visage. à l’intérieur. du front. mystère. lune. face. ailleurs. endroit. envers. du mal. du bien. bête. sentier. chemin. jeu. destin. illusion. jasmin. cartes. rituel. flûte. décor. tiens. tiens. tiens. ma main.
Om. Yam. Yam. Ham. Om. Yam. Yam. Ham.

Eau renversée sur le sol.
Eau renversée sur le sol.
Eau renversée sur le sol.

Lam. Vam. Ram. Yam. Ham. Om. Ah.
Lam. Vam. Ram. Yam. Ham. Om. Ah.

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les jambes molles
la tête qui tourne
le vertige
la nausée
l’impression de tomber
et pourtant
je suis là
ancrée
dans ton
regard
accrochée
à
ton
corps
tes yeux
intriguent
invoquent
incantent
libèrent une onde
électrique
magnétique
inter
galactique
je m’égare
tu me souffles
essouffles
dessouffles
je m’envole
je pars
loin
très loin
au hasard du vent
vol vague vrille
je ne suis pas certaine
de l’espace
ni
du but
ou
du sens
ou
du temps
et
peu
m’importe
peu
m’importe
le lieu
les mots les gestes
la retenue le chaos
céleste
peu
m’importe
le silence
si
c’est
ta
bouche
qui me souffle
essouffle
dessouffle
souffle
essouffle
dessouffle
autant de fois
et
encore
une
fois
ta bouche
cachée
à l’embrasure
de mes lèvres
mon cou
ma peau
hérisse-moi
gonfle-moi
le cœur
de l’intérieur
et
de
tous
les
côtés
et
de
toutes
les
faces
du
dehors
sors
moi
de
ma
cage
thoracique
remonte
moi
à
la
surface
prends
retiens
prends
retiens
l’air
retiens
moi
moi-moi
et puis
lâche
lâche prise
emprise
laisse-moi
planer
dans les airs
gonfler
dégonfler
ta bouche
tes lèvres
à la frontière
si près
du gouffre
les jambes molles
la tête qui tourne
le vertige
la nausée
l’impression de tomber
et pourtant
je suis là
ancrée
dans ton
regard
accrochée
à
ton
corps
souffle court
soufflée
essoufflée
je me dessouffle
me dégonfle
dégonflée
je chois
ballon écrasé
un mètre plus loin
sur le sol
avant même
la grande envolée
corps échoué
sur la berge
après le hurlement
d’une tempête
seul en mer.

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ton visage s’ouvre
trait par trait
fleur sur fleur sur fleur
sur dents
émerge
des profondeurs
marécages
visage
yeux
garçon
jeune femme
abuela
artiste
sorcière
images
couleurs
ciseaux
oiseaux
des profondeurs
bleues
de la mer
bricole le présent
comme un objet
malléable
chaud
froid
qu’on sculpte
avec les mains
creuses
humides
friables
bricole
garçon
jeune femme
abuela
artiste
sorcière
argile
leurre
mur
peur
temple
amour
atomes
noirceur
hameçon
perche
pieu
lumière lumière lumière
puits
de lumière
perce
traverse
transperse
transverse
d’un côté à l’autre
de la matière
et du temps
dis-tendus
d’un corps à l’autre
du désir
et du courant
é-perdus
nage cherche trace explore
cœur qui cœur qui cœur qui
quoi
ton visage s’ouvre
un miroir
une sonde
une seconde
liquide
sur ta peau
écoule
la mienne
ton visage s’ouvre
trait par trait
comme autant de pétales
de fleur de lotus
océanique.

flor-de-loto1

 

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TES LÈVRES

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Toile de l’artiste Tina HI

CONTIENNENT
UN MONDE
OÙ LES CRÉATURES
DE LA NUIT
ET DU JOUR
COHABITENT
TELLES DES OMBRES INVERSÉES
UN MONDE
INATTEIGNABLE
UNE FANTAISIE DE ROUGE
ET DE LIGNES INDOMPTABLES
ET TOUJOURS
MON DÉSIR
ET LE TIEN
TELLES DES OMBRES
L’UNE POUR
L’AUTRE
DEUX LÈVRES
INJOIGNABLES
ET – AU MILIEU
LE CIEL

dans un courant ininterrompu
de lumière couleurs bruits
au fil des jours heures micro-secondes
des intervalles vides de tout
face à l’horizon la plus vaste dans la noirceur
qui enserre le corps comme un étau
à l’ornière du mot de l’image
là où creuse le sens les sens
en silence
au fil des champs lacs sols gelés
dans l’espace nu de ma tanière
le long des murs des bras des chaises
dans un courant ininterrompu
le long des racines des cheveux des rizières
au gré du vent de son absence
à la tombée de la flamme qui brûle
encore encore
au milieu de mon front
là où les yeux ouverts
sont fermés
à travers ce qui traverse fuit reste
ce qui échappe éconduit blesse
dans un courant ininterrompu
la mort la vie
dans un courant ininterrompu
je suis

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les paumes de tes mains
ouvertes déposées
sur tes cuisses
ouvertes déposées
sur le sol
ouvert déposé
au Centre
de la Terre
de ton corps
un volcan
un noyau
tourne
autour de lui-même
et en lui-même
reposé
sous ton sexe ouvert
reposé
sur ton ventre ouvert
reposé
sur ta poitrine reposant
sur ton cœur
exposé
un volcan
un noyau
tourne
vers le haut
en volutes
spiralées
exposé
ouvert
vers le haut
la gorge
le passage
le canyon
la pluie
de lumière
un œil
un triangle
transposer le ciel
les soleils
les étoiles
explosées
les paumes de tes mains
posées
sur les miennes

heal-your-spiritual-energy (1)

CAN YOU HEAR ME?
Escucha me eschucha me listen… I am trying to come all the way back to my mother -tongue, ma langue maternelle, aquela que me foi dado – por qual me foi dado – meu direito de viver – el derecho de vivir en paz peace, I need peace, la paix, esquizofrenia linguística, fragmentación del corazón que late late integracíon-desintegracíon mon cœur, fragmentation- multiplicité, des voix, des sexes, des genres, des peaux, des torrents, des chemins et des rites – de passage. Soledad cien años cien años ma solitude – en quatre voix.

Les yeux qui découvrent le monde
Les pieds qui refusent de marcher
La déambulation sonore – invisible

Can you hear me?
Ouça-me, ouça-me, écoute… je cherche le chemin du retour, l’origine, qui s’efface, à la mesure de mes pas, qui tracent – l’ailleurs.
La forêt enchantée
Parcourue tant de fois
Quand j’étais enfant
La perte
Le regard des autres
Le miroir

Mirror on the wall, can you tell me where am I supposed to be- now? Who am I supposed- to be- now? What are all those voices- ces voix- qui résonnent- ces langues qui se mêlent, se croisent, se contredisent et se rassemblent?
My inner child has only one tongue- and it is used to catch the snowflakes coming down from the sky- in the nights of full moon. Mon enfant intérieur- la vie – simplement. La joie. La magie.
A mulher em mim tem medo- medo de ser vista- talvez. Medo que alguém a decifre, medo, medo das ruas escuras e dos quartos de hotel, medo da noite, medo… medo do medo que da …
Le vieux sage en moi, this androgynous being which is pure light tells me to breathe in and to breathe out, breathe in and out…. Release the pain, welcome creativity, synchronicity, serendipity, sanity.
I am all and everything- twisted languages, bodies and tongues, twisted feelings and twisted hands and legs and feet.
Can you hear me? Can you hear me sing? M’entends tu chanter dans la forêt en-chantée? Juste à côté du rocher- celui de notre enfance
Écoute ma voix qui tremble, je parle tout bas- j’ai peur de dire- j’existe à peine, et pourtant je suis là, j’en suis certaine… escucha me, soy el viento, los nubes, la lluvia…
I am not my body
I am not my mind
I am not my body
I am not my mind
I am not my body
I am not my mind

I am divine light

My heart- mi Corazón
Que es lo único que tengo
Mon Coeur- qui bat bat bat
My heart beating – bate bate bate

Listen. Je suis là. La main tendue- vers toi.


CLAIR-OBSCURarbre

L’ombre et la lumière
comme deux flammes d’un même feu
immense
Orange
et bleu

Que cherchons-nous dans l’ombre
que l’on ne peut trouver dans la lumière?
Que cherchons-nous dans la lumière
qui est l’ennemi de l’ombre?
Toujours. Toujours la même chose.
L’origine.

La clarté nue détient un mystère
si pur
qu’elle rend la peau
trans-lucide

et j’ai peur de disparaître
de me démoléculariser

puisque maintenant, plus que l’ombre
c’est la lumière qui m’effraie
celle qui se reflète sur les feuilles, les branches, la terre
étourdit les couleurs
offre un chant au ciel
et une tapisserie aux mains
tendues vers elle
comme pour s’emparer d’un reflet
un mirage- peut-être

une part de moi s’étend entre les racines
noires de l’arbre – du côté de l’ombre
alors que l’autre part ouvre les bras –
tout comme l’arbre – du côté du soleil

et je suis – toute entière
l’ombre
et la
Lumière.


DI-VAGUES DU DÉSIR

Envie de te rêver. Te rêver, en français. Malgré ma volonté et la suivant pourtant, ma langue se confond avec la tienne. Elle valse-vire-vagabonde, avec la tienne, véhémente, forme une vague sensitive loin du mot. Ta langue me contraint. M’étreint. M’alimente. Langue tordue. Langue brésilienne, féminine, mutante. Langue claire et limpide, dans la distance.
Le manque. Le manque.

Tunnel ténébreux de l’inconscient qui trace, sur la pointe des doigts, à la surface fébrile des pores, l’onctuosité cruelle de ton corps.
Désir-Nausée qui envahit, hurlant, ma poitrine, mon sexe, ma tête, mon ventre.
Désir-Feu qui enflamme ma noirceur.
Désir-Rêve rendu Réalité. Désir hanté.

Saudade.
Tu es là. Je te sens. Je te ressens. Je te respire. Tu es si loin, si près, si près, si près. Si loin. De moi. Je me vois.

Je te touche.

Profondément. Je risque, un, deux, trois doigts, dans ton sexe béant de créature des marécages. Tu as mille cils et ton sexe est une grotte sans parois. Tu me regardes et je te regarde, et nous n’avons plus peur de ce que nous ne pouvons pas retrouver. Tu es là. Et tu le seras toujours, car notre rencontre a eu lieu avant que d’avoir lieu, notre rencontre se répète chaque jour, dans l’angoisse du vide et du temps qui passe et me laisse sans toi, et me laisse sans temps.

Jusqu’à tomber.

Jusqu’à tomber de l’autre côté.
Rompre la trame de la réalité, déchirer le ciel, entrer dans le moment pur et sans frontières ni temps, ni heure, ni nuit.                                            Ni jour.
Jusqu’à perdre le Nord.
Jusqu’à entrer dans l’obscurité de nos deux regards troués
Nous nous regarderons avec les mains, avec la bouche,
avec la langue, avec les dents.

La bouche. La langue. Les dents.


FLEUVE

Fleuve
ma bouche s’est fondue avec la tienne
devenue vague devenue vague devenue vague devenue vague
on a parlé
le langage de l’eau
la pensée matérialisée
en grains de sel
comme tirée d’un fil
ondulatoire
sans syllabes

magnétisme

 

Ô
le fond marin vibre
le crabe vert s’indigne
le saumon fraie
le béluga jubile
le plancton illumine

Ô
le fond marin vibre
le fond marin vibre
il vibre.
le crabe, le saumon, le plancton, le béluga
vibrent.

Ô
l’homme vibre – aussi
ses paumes ouvertes
sont luminescence
le sait-il? le sait-il?

Mer de mai
Grande débâcle qui engloutit tout
jusqu’à la violence naturelle de chaque chose
ton calme
reste
Poche marine d’air
Noyau immobile
Œil
Au milieu
qui voit tout
et moi qui cherchais à peine
une direction

Canal
Enfermé dans ton centre
tu te laisses déborder
sur les côtés
Comme une main ayant trop de doigts
s’ouvre s’ouvre s’ouvre
pour attraper le vide
multiple
Ruisseaux, rigoles, mascarets
Canal de diffusion
de trans-ports

Paysage d’ondes
dans mon rêve
toutes tes eaux se rencontrent
y compris cette eau
qui compose mon corps
et remplit les contours de ce qui ne peut être
contenu
un visage
fuyant
un courant
dé-rivant
un ciel
explosant
de couleurs

Ô Fleuve!
je ne suis qu’une
pierre-pierre-pierre
léchée par l’eau
comme autant de langues s’éboulent
sur un seul corps

et l’Ô de mon corps, et de tous les corps du monde
se lèvent
ensemble
de leur lit
marchent, marchent, marchent
suivant la courbe infinie
montante-descendante
montante-descendante
la respiration
de la terre.

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FORÊT (Opus paysager pour MarieLe Franc)

04 octobre 2014. Anniversaire de Marie Le Franc. Par la fenêtre, la lune, à moitié dessinée, avance dans la forêt à une vitesse folle. La lune, recroquevillée sur elle-même, propulsée comme une boule de feu au rythme des pulsations cahoteuses de la voiture. Dans sa course effrénée, elle nous échappe et nous rattrape, apparaissant et disparaissant entre les arbres. J’entends sa présence sous trame de notes mélancoliques de piano et du craquement des arbres qui se plient à peine pour la laisser défiler. Je la retrouve, épuisée, au-dessus du lac brumeux. Calme. Son souffle translucide caresse l’échine de l’eau.

Au-dessus du lac Marie Le Franc, la lune. Silence. Il n’y a plus que le bruissement joyeux de l’eau après la tempête. Un instant de solitude. Sortir du groupe.

« On était là au milieu de l’éternel, et on prenait d’instinct la seule attitude qui convînt. La solitude flottait au-dessus de la vallée dans un étirement d’une fluidité soyeuse. On se sentait au milieu de richesses accumulées, indéfinies, et on tâchait que l’âme s’épanouît le plus possible pour en recueillir quelques bribes »

Est-il possible de vivre la solitude en groupe, de partager, solitairement et ensemble, la solitude de la Forêt? Percevoir ses bruits, la sentir plus vivante et sauvage que chacun de nos pas réunis, chacun de nos pas engloutis, avalés par la terre, par la boue, par les branches, par les feuilles, … avalés que sont les bruits de nos pas qui deviennent Ses pas, qui ne nous appartiennent plus, qui se confondent et qui nous confondent dans une masse sonore à la fois souterraine et élevée vers la cime des arbres. Nos pas ne sont plus que la résonance.

Une goutte d’eau sur une feuille, une goutte d’eau sur la carapace du manteau, une goutte d’eau sur l’écorce de la peau. Et le visage tourné vers le ciel du lac, les pensées n’apparaissent plus que comme une ombre diaphane emportée par le vent. Et ce silence, ce silence, ce silence – inexistant – que nous recherchons, emmitouflés dans nos capuchons, nos foulards, nos tuques, nos têtes, prisonniers d’un son grave et amorti.

Ce silence n’existe peut-être que dans la recherche – la recherche des bruits, la recherche de tous les bruits – dans un assemblement que nous tentons de séparer et de réunir à la fois, immergés que nous sommes dans la marche, la marche, la marche, et son rythme inégal. Le bruit. Peut-il avoir une couleur, une forme, une dimension? Peut-il se composer de souvenirs? Les vagues du lac qui s’écrasent doucement à nos oreilles me ramènent soudainement la mer, et son odeur étrangement humide, terreuse et automnale.

« Elle respirait largement, librement, dans l’espace retrouvé. Elle avait l’illusion de la mer. Une grâce, une sérénité, une clarté remplaçaient autour d’elle les traits de sombre grandeur à quoi elle était accoutumée. »

Retrouver la mer, laquelle a toujours été même lors de ses longues absences. Retrouver la petite baie agitée et ses bateaux de pêcheurs éparpillés au vent comme des points de couleur sur une carte. Sentir, à chaque ramée de chaloupe, la grande gloutonnerie de l’embarcation qui avale et recrache l’eau limpide dans un bruit de tambour sous sa coque. Le corps maintenant allongé sur le sable, je reconnais chaque particule s’incrustant dans ma peau comme des secondes qui ne se seraient jamais écoulées.

Le visage incliné vers le soleil et les yeux fermés, je m’abandonne à la réminiscence que tout voyage « voile et dévoile ». Je me rappelle Onfray, je me rappelle la mer, je me rappelle ce jeu subtil de l’ombre et de la lumière sur le tronc de l’arbre, ou sur un visage, je me rappelle Hélier et les phrases de Marie Le Franc, je me rappelle le bruit long et strident du vent, je me rappelle le cri du huard que j’ai à peine capté entre les montagnes, et je me rappelle que mon corps est léger, et que ce que je n’ai jamais été m’accompagne.

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SOLAIRE

SOLAIRE1

Samedi matin. Un vent frais d’automne dessèche la peau et refroidit les mains qui se disséminent dans les poches. Samedi matin et les rues se remplissent peu à peu d’enfants, de parents, de corridors de couleurs, d’hommes qui boivent un café sur la terrasse de Giorgio Pizzeria. Samedi matin. Sept heures trente. Je marche en pensant aux rituels, aux méditations matinales, alors que le cerveau est à peine éveillé et tente de se connecter au monde. Sans le pont que permet le café, on semble patauger quelque part, comme une carotte trop molle dans un ragoût épais et voluptueux; quelque part entre le monde des chimères et celui des humains.

Je veux flotter. Je veux flotter dans ce liquide pâteux et indistinct de gens, de bruits et de feuilles vertes, jaunes, rouges qui clignotent comme des sémaphores. Mes pensées-foulards s’enroulent dans le vent et se mêlent à l’automne. Je veux le monde tel qu’il est; sans antécédents, sans pensées, sans idées. Je cherche à cueillir ce vide habité. Je passe devant les églises devenues cultes de condominiums, devant ces constructions interminables qui créent plus et encore plus de trous. La ville, si tôt, parait moins dangereuse, bien que se niche, tranquillement et en hauteur, le vautour de l’action quotidienne. Il observe, guette les pas, gruge le bout des doigts. On se retient à peine de crier. Je ferme les yeux, touche une feuille – de celles qui ne sont pas encore tombées au sol pour se mélanger avec la vie en processus de mort. La mort. Novembre.

Je me sens solaire.

Cette marche matinale avait comme objectif de laisser une clé à un ami – et l’objectif est devenu secondaire. Tant de choses s’additionnent dans une journée, tant de choses “secondaires” – alors qu’il nous suffirait de sentir un rayon de soleil atteindre le visage. La primauté. Et tellement de fois, je l’ai laissé passer, ce rayon. Juste à côté. Rayon laser. “Piou! Piou!”, fait le rayon. “Piou! Piou!” Je suis restée trop souvent dans l’obscurité secondaire alors qu’il était si facile de l’accepter, d’accepter ce rayon qui n’est pas une attaque Star Wars mais une douche impromptue, un torrent de lumière. Ce rayon qui remplit les trous de la ville.SOLAIRE2

J’arrête au parc, un instant, je respire profondément. Les préoccupations habituelles tentent de s’infiltrer en moi tels des papillons attirées par une lumière sur fond obscur.

Mais ils allaient mourir; ils allaient mourir ces papillons, alors que je commençais à rêver de fleurs… Les fleurs… Et les feuilles d’automne, elles, se transformaient graduellement en rêve de châteaux d’Espagne. Lorsque l’objectif de la caméra se perd, le regard se floue, les couleurs s’intensifient et le soleil n’est plus qu’un œil hallucinant qui nous regarde en retour. Il nous montre la vérité. Il aveugle. Lorsque le mirage signifie “voir”, les yeux se ferment et le paysage, imprimé, reste. Le paysage appartient maintenant à un autre monde; le monde des désirs, des conquêtes perdues, des images éphémères, le monde mélancolique…

SOLAIRE3Fermer les yeux et voir, encore, ce que l’on croyait enterré, comme un cœur qui bat de l’intérieur du cœur de la vie. Un aspect archéologique subsiste dans le fait de regarder en profondeur. Fouiller. Chercher. Et surtout. Avoir les mains sales. Puis, invisibles. Comme par magie. Comme une fleur éclot dans le milieu du désert, et comme, dans la noirceur, on se sent sourire. On sent ses dents illuminer de blanc. Archéologique oui. Et spontané. Voir, c’est quand le vrai et le faux se confondent. Tout peut être faux comme ces châteaux d’Espagne que j’ai vus en rêve. Et tout peut être aussi vrai que ce rêve.

 L’important, c’est peut-être bien de rester couché, c’est de dormir, de dormir ainsi, même en marchant. Peut-être avais-je sous-estimé le pouvoir de la marche. Et quand j’ai pris conscience que mes jambes suivaient et me menaient à tort et à travers dans les rues, les parcs, par-delà les cafés et les églises, j’ai compris cette sorte de pouvoir de marcher, cette chasse-galerie de la déambulation.

Je marche. Dans l’ombre il fait froid. Je retourne sur le côté ensoleillé de la route. Je croise une voiture. Des voitures. Stationnées. En parallèle. Perpendiculaire. En chaîne. En mouvement. Des milliers de miroirs se-me reflètent. Ce sont les rétroviseurs des voitures qui m’entourent, me dépassent, me klaxonnent même, parfois. Moi qui me sens solaire. “Il y a une traverse de piétons!!”, je grogne intérieurement. Ces miroirs me renvoient un reflet tordu de moi, un reflet liquide, comme un fleuve qui cherche à rencontrer la mer sans jamais la voir. Une forme sinueuse qui serait contenue dans un tout plus grand. Infini.

Mer immense d’images morcelées qui m’emporte dans les profondeurs de son sein, un sein que j’ai osé mordiller des dents. À peine. Les grognements, les audaces, les miroirs, les éclairs, les rayons. De soleil Jedai. “Piou! Piou!”, fait le rayon. “Piou! Piou!” Ai-je inventé le risque? C’est que ce tour de bloc et de rêveries a fait le tour et se retourne dans mon corps, ma tête, mon cœur, et, étourdie, je cherche l’air –  et ton odeur, évanouie. C’est qu’à force de tourner, re-tourner et de tourner encore, de voir les choses, les gens, les arbres, les feuilles apparaitre, puis tomber au sol, je risque de perdre l’équilibre et l’envol. De perdre pied. Et pourtant. Le tour n’est qu’un tour. Un tour de pâté et un arrêt pour une soupe chaude. Chasser l’ennui. Un samedi. Un matin. De magie. Une journée. Un instant. Un tour. Je re-tourne. Chez moi.

___________________________________________

LUNE PLEINE

Lune pleine d’une nostalgie inexplicable                                                                                    Creusant son chemin évanescent à travers la ville
Renvoyant son image dans le reflet des fenêtres, des vitrines
Apparaissant, disparaissant, entre deux immeubles, deux abîmes
Quelque part dans le ciel nuageux et divisé

Entre elle et moi.

Elle avance à la mesure de la roue grinçante du vélo
À la mesure du regard coincé entre les lattes béates du trottoir
Elle avance à la hauteur de mon corps et jamais ne me dépasse
Jamais ne se lasse, jamais ne s’écrase
Près du mégot trop longtemps allumé
Entre toi et moi.

Lune pleine d’une nostalgie inexplicable
Les yeux scintillant sous les néons rouges, verts, jaunes
Blanche, de trop de silences, elle occulte une histoire

Impossible à raconter, de clair vêtue tachée de noir
De trop de paroles, de trop-plein de lune
Et si peu de soleil.

Elle avance, subreptice, d’est en ouest, du nord au sud
Rebondit sur les parois d’un désir bleu- feu de brume
Les immeubles, haut-perchés, murmurent et la caressentluna                                                            Elle avance téméraire, se découvre,  me bouleverse                                            Elle avance, je m’arrête, immobile
Elle reste.

À la fois mémoire et oubli

Colère et Tendresse

Passé et Présent
Torpeur et Ivresse

La lune pleine d’une nostalgie inexplicable
Plane, tranquille, au-dessus de la ville
En plein vol, elle déchire l’espace
Entre moi et moi.

________________________________________

PLUIE

Tu arriverais avec la pluie, ouvrant la porte, une tempête, la pluie brillant et tombant sur ton visage comme des rafales de draps au vent. Tu arriverais avec la pluie, comme si quelque chose se brisait, comme si le paysage derrière toi disparaissait alors que la porte s’ouvrirait d’un seul coup.

Tu arriverais avec la pluie, et une image, derrière toi, s’effacerait comme le torrent embue les fenêtres de ses gouttes acharnées. Tu arriverais et j’hésiterais à te faire entrer. Je tenterais de garder mon visage hors ton visage, hors ton sillon, hors ton approche.

Tu arriverais et une langueur humide se laisserait enfin libérer, dégager, partager, entre les pores diaphanes de nos deux visages se penchant l’un vers l’autre tels des marionnettes sans regard. Des marionnettes guidées par le hasard de fils imaginaires, s’emmêlant et se démêlant, s’entremêlant sans se toucher.

J’ouvrirais la bouche et la refermerais aussitôt. Je laisserais s’échapper à peine une bouffée d’air, se mélangeant à l’air chaleureux de la nuit.

Je continuerais de parler en silence, la pluie se fracassant sur le sol derrière tes pas.

Je tenterais de découvrir, dans tes yeux absents, la vérité. Et la cherchant, je la perdrais et me perdant, elle me chercherait et si je la tenais elle me laisserait, et la laissant tomber elle se rediffuserait – propulsée dans l’air. Une réponse évaporée dans un mouvement sans fin de vague.

Les traits de ton visage s’échapperaient dans les interstices du trottoir, tout comme la porte se refermerait dans un claquement de vent.

Une image disparaitrait et une autre prendrait toute la place. La tienne. Celle de la pluie. La pluie sur ton visage. Ton visage. Grave. Ahuri. Sérieux. Ton visage sur mon bras, tenant la poignée, ton visage sur ma joue, sur ma bouche, sur mon souffle.

Ton visage, une image trouée, arrachée à la grisaille du décor.

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NEIGE

-23

Sous un soleil hivernal, je marche.
Je marche.
Jusqu’à ne plus sentir mes jambes, ne plus sentir mes doigts, ne plus sentir mon nez
Ne plus sentir.

Le soleil tombe, d’un seul coup, comme du haut d’un édifice.
Il se donne la mort à 16 heures.

Il commence à neiger.

Les lampadaires montent dans la nuit,
laissent se profiler les ombres des passants
Mes pas vacillent sous la neige instable
Mon regard chancelle (….)
Je t’aperçois au loin.

Je t’aperçois.

Ta silhouette s’engouffre
Dans le début de la nuit
Elle remonte la rue Drolet
rehaussée de bottes
qui claquent sur le gel du trottoir
Tu portes un long manteau noir
Marches d’un pas lent et décidé
Sans sourciller

Comme si le froid ne te dérangeait pas
Toi qui ne l’as jamais connu
qui ne le connais pas,
et qui ne le connaitrais – jamais.

Ce froid fait halluciner,
Fait voir les pavés et le ciel
dans un halo bleuté
Ce froid crie le désir de la peau
Comme la glace hurle en silence
lorsqu’elle se crispe.

La neige m’invite à m’étendre en son berceau,
elle me piège
Me dirige, m’entraîne
ailleurs

À quelques pas de moi.
Tu es là.

Nos ombres dansent
sur une plage d’Itapuã,
le regard timide des hommes près du feu,
fixe ma main sinueuse
le long de ton dos,
ta bouche chaude
à mon oreille,
tes hanches qui tentent de guider
le rythme dans nos têtes.

Ailleurs
Nous courons pieds nus dans le sable
Jusqu’à épuiser le souffle, les rires, les peurs
jusqu’à tomber,
tomber de l’autre côté,
de l’autre côté de la route qui s’achève en forme de dune,
en forme de lune,
face à un mur
qui s’ouvre sur la mer

Ici
Derrière les rafales blêmes au bout du chemin

Le chemin de ma rue
Le chemin de ta rue

Où mènent-ils?

Tu es là.
À quelques pas de moi.

Tu t’arrêtes, te retournes
Nos lèvres remuent
Elles se touchent –

À peine.
Comme si la limite du réel
ne pouvait être pleinement franchie.

Elles se touchent
comme on plonge entier
dans une idée qu’on manque à saisir.

Elles se touchent
Avec le bout des dents.
Incisives.

Tu souris.
Tes pas emboîtent le souvenir.
Ils s’emmêlent aux miens
dans une danse maladroite
au centre d’une rue
qui ne semble plus en être une.

Ni la mienne.
Ni la tienne.

Vêtues de blanc, nous tournoyons,
nous tournoyons,
nous tournoyons,
le visage levé au ciel
la neiJ sur les yeux,
sur les joues,
la neiJ sur les bouches.
Nous tournoyons dans nos chrysalides blanches.
Où sommes-nous?

Les évènements se forment autour de moi,
les faits se déforment,
les sensations me submergent,
Rien n’est coïncidence
la rue est mer,
la mer est route,
nos corps sont trajectoires de lumière.

La réverbération de mes pensées sur le dehors
est miroir
tout a un sens –
ou alors rien n’existe que l’instant.

Le monde se referme sur nous.
Il se referme sur nous,
alors que nous nous déployons
dans la nuit
Que nos regards se rapprochent
de nos corps tournoyants,
que nos regards se ferment enfin
sur eux-mêmes,
et sur le monde que nous avons créé.

Au loin. Si près.

Tu disparais coin Duluth.
J’ouvre la bouche
au ruissellement de la nuit, je bois.
Mes paupières se battent contre les flocons
au contact de la neige ma langue s’excite

L’arbre en forme de poumon
me rappelle d’inspirer-
et d’expirer,
d’inspirer-
et d’expirer.

Je constate ton absence,
toujours là,
qui pulse dans l’arbre.

Et je sens ta présence,
si forte, si pure,
qu’elle triomphe de toute présence véritable.

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BOUE

Ta peau.

Je voudrais la lécher, la lécher, la lécher encore et encore, avec ma langue, jusqu’à ce qu’elle devienne visqueuse, humide, fangeuse, jusqu’à ce que, après l’avoir touchée, pouvoir entrer. Entrer.

Désir-Nausée qui envahit ma poitrine hurlante, mon sexe, ma tête, mon ventre.
Désir-Feu qui enflamme mon obscurité.
Désir-Rêve rendu Réalité.                                                                                           Désir-hanté

Je te sens, je te res-sens, je te respire. Tu es si loin, si près, si près, si près. Si loin. De moi.
Mimétisme. Je me vois.

Je te touche.

Profondément. Je risque, un, deux, trois doigts, dans ton sexe béant de créature des marécages. Tu as mille cils et ton sexe est une grotte sans parois. Tu me regardes et je te regarde, et nous n’avons plus peur de ce que nous ne pouvons pas retrouver.                                                                                                                                                                                          Nous creusons. Nous trouvons. Nous nous re-trouvons.

Tu restes là. À mes côtés. Nous nous enduisons. L’une de l’autre.

Je te sens, je te res-sens, je te respire. Étendues au sol, un échange atomique-atonal entre Moi-Toi-Moi a lieu et je suis plus forte. Accompagnée. Entourée. Incorporée.

J’ai envie de pleurer. Mais je ne le fais pas.

Tu me touches.

Tu m’atteins.

En plein cœur.

J’ai le courage maintenant de regarder. Au creux du trou de terre, au creux de l’arbre – noir – au creux de tes yeux, je vois, je comprends, je sais. Notre rencontre a déjà eu lieu.

Notre rencontre a déjà eu lieu il y a de cela bien longtemps.

Long-temps ancestral de fossiles et de grottes – et je n’ai pas voulu l’admettre, je n’ai pas voulu l’admettre…

Et toi, tu savais. Tu savais de tout, depuis le début. Belle et Infâme Sorcière, matrice nourricière, tu restais là attendant patiemment que je sache, me laissant à peine quelques signaux de feu mystérieux, craignant, oh craignant, aussi, que je sache.

Le décor se démantèle comme le rêve-calice de vin renversé dans les interstices du sol. Maintenant, quand j’arrête de penser je sais. Simplement. Comme le vent souffle.

Tu es avec moi, et tu le seras toujours, car notre rencontre a eu lieu avant que d’avoir lieu, elle a eu lieu avant nous et sans nous. Notre rencontre recommence chaque jour, se répète, différemment et indifféremment du Temps.

La vie nous guette comme un œil au-dessus du ciel. Elle nous enlace dans un mandala de racines emmêlées, de pluie et de terre mouillée.